La femme Mecxpliquée
Qu’est-ce qu’une femme ? À quoi servent-elles ? Ont-elles une âme ? Les hommes ne le sauront peut-être jamais, parce qu’il faudrait pour y parvenir demander l’avis d’une femme.
10 juin 2022 — Par Victoria Smith (Traduction : racines_féministes avec @deepl)
Au départ, je n’étais pas particulièrement encline à regarder le documentaire de Matt Walsh intitulé Qu’est-ce qu’une femme ? Je connais déjà la réponse à cette question. Tout le monde la connaît.
Une femme est quelqu’un qui n’a pas le dernier mot pour déterminer ce qu’est une femme.
Prétendre ignorer ce qu’est une femme — et expliquer que la définition de la “femme” est incroyablement complexe et déconcertante — est une tactique ancestrale déployée par les non-femmes, généralement pour excuser le fait de nous traiter comme des moins que rien.
Les femmes sont-elles pleinement humaines ? Ont-elles une âme ? Que veulent les femmes ? Des hommes bien plus illustres que l’animateur du Matt Walsh Show — Aristote, Thomas d’Aquin, Sigmund Freud — ont tenté de répondre à ces questions et n’y sont pas parvenus (ils auraient toujours pu poser la question à une femme en chair et en os, mais ils auraient d’abord dû, pour ce faire, déterminer si les femmes sont dotées de la capacité de penser — ce qui les aurait ramenés à la case départ).
Comme Matt le dit lui-même au début de son film, “j’aime donner un sens aux choses. Donner un sens aux femmes est une tout autre affaire”, notant que “même l’astrophysicien Stephen Hawking” a été “complètement décontenancé par les femmes”.
Même l’astrophysicien Stephen Hawking ! Honnêtement, mesdames, si l’auteur d’Une brève histoire du temps n’a pas la moindre idée de ce que nous sommes, quel espoir avons-nous ?
La nature ingrate de la tâche explique peut-être pourquoi la version du XXIe siècle de la question des femmes a été confiée à ceux qui se situent un peu plus bas dans la hiérarchie de l’intellect masculin : des humoristes du festival Edinburgh Fringe, des députés tombés en disgrâce, des animateurs à sensation de l’extrême droite, Owen Jones [écrivain et chroniqueur de gauche, journaliste au Guardian] et Billy Bragg [musicien et militant].
La proposition selon laquelle une femme est toute personne qui se définit comme une femme — et qu’aucune femme ne peut dire que quelqu’un n’est pas une femme — a conduit à l’étape la plus décevante du débat, que l’on ne peut décrire autrement que comme un croisement entre la Summa Theologica et incels/r/us.
[La somme théologique, traité de Saint Thomas d’Aquin qui contient de long développements sur les femmes, leur genèse et leur infériorité naturelle… - incels/r/us : de manière générique, désigne les subreddit incels aux contenus extrêmement misogynes qui fleurissent sur reddit entre deux bannissements pour propos haineux).
Le bon côté des choses, c’est qu’il est clair que les hommes adorent ça.
Si vous êtes de gauche, c’est l’occasion de remettre ces TERF à leur place après des années passées à devoir “faire du féminisme” car ça fait partie du package nous-qui-somme-du-bon-côté-de-l’-histoire.
Si vous êtes de droite, c’est l’occasion de vous payer la tête de toutes ces féministes qui ont osé suggérer que les corps féminins n’étaient pas inférieurs et que les cerveaux féminins rose bonbon, strass et paillettes étaient un mythe.
Comme le déclare Walsh à propos de son film, “le film ridiculise les élites libérales éduquées”. Je suppose que c’est le but recherché.
J’avoue avoir peu connu Matt Walsh jusqu’à présent. “Je suis un mari, un père de quatre enfants, j’anime un talk-show, je fais des discours, j’écris des livres”, nous dit-il en guise d’introduction. Ça a l’air sympa !
Hélas, un rapide coup d’œil sur son compte twitter montre qu’il est le genre d’homme du moyen-âge qui tweete des choses comme “le féminisme est une idéologie laide et amère” et “les violeurs adorent l’avortement. Cela les aide à dissimuler leur crime”.
C’est aussi le genre d’homme qui, si les féministes ne se montrent pas suffisamment reconnaissantes de ses récents efforts pour définir “La femme”, nous dit que nous “préférons être des victimes plutôt que de gagner le combat” et que nous “voulons juste rester sur le banc de touche à pleurnicher”.
C’est qu’il a reçu des menaces de mort en raison de sa remise en question des mœurs contemporaines en matière de genre, lui ! Prendriez-vous ce risque, hein, les féministes ? Comme si t’avais déjà vécu un truc comme ça, toi, JK Rowling, espèce de lâche !?
Il y a plus de huit ans, j’ai écrit pour la première fois sur la nature problématique d’une définition des femmes qui serait basée sur l’identité de genre. D’autres femmes, comme Julie Bindel, ont tiré la sonnette d’alarme bien plus tôt, avec peu de soutien.
Je sais que nous sommes censées être éternellement reconnaissantes à Matt d’être monté au créneau. Quel homme ! Comme l’a dit un jour The Onion, un homme est enfin en charge de diriger ce mouvement féministe en difficulté (il est vrai que c’est un homme qui pense que le féminisme est une idéologie laide et amère, mais bon, on ne peut pas tout avoir).
Quoi qu’il en soit, j’ai cédé et j’ai regardé le film de Matt, juste au cas où j’aurais manqué quelque chose (je ne suis pas dupe ; j’ai lu Gender Trouble [Trouble dans le genre, de Judith Butler, papesse de l’idéologie Queer] sur cette base, et regardez où cela m’a menée).
Il y avait peu de choses dans “Qu’est-ce qu’une femme ?” que je ne connaissais pas déjà grâce au travail des féministes elles-mêmes, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en tenir compte. Qu’y a-t-il de mal à alerter les personnes lambda sur les excès de l’activisme trans ?
Ce qu’il y a de plus difficile dans le fait de porter à la connaissance de quelqu’un qui n’y a pas encore été confronté, les absurdités que racontent les activistes trans extrémistes, c’est que soit vous donnez l’impression de fabuler (généralement pour “alimenter la panique morale”), soit la personne à qui vous parlez finit par en conclure que quelque chose a dû vous échapper (il serait en effet horrible que des adolescentes se fassent enlever les seins par contagion sociale et que des institutions “progressistes” les y encouragent, donc ce n’est pas possible. Ça doit forcément être autre chose).
L’une des grandes qualités du film de Walsh est qu’il montre, premièrement, que des actes préjudiciables sont effectivement commis et, deuxièmement, qu’il n’y a pas de mystérieux sens caché derrière ces actes.
Les thérapeutes, chirurgiens, universitaires et politiciens qu’il interroge ne tirent pas soudainement de leur chapeau magique La raison pour laquelle prétendre que personne ne peut vraiment savoir quel est le sexe de quelqu’un, n’est pas tout simplement absurde.
Ce moment n’arrive jamais (et croyez-moi, j’aurais adoré qu’il arrive).
Être une TERF célèbre est une véritable plaie.
Au lieu de cela, ils font des assertions à l’emporte-pièce comme “un poulet a un sexe assigné” ou « le mot vérité est condescendant et grossier”. Ha ! Les libéraux ne sont-ils pas ridicules ?
À un moment donné, Matt interviewe quelqu’un qui s’identifie comme un loup (ou un autre animal… J’étais tellement morte d’ennui, que j’étais allée me chercher un biscuit dans la cuisine à ce moment-là).
Ce qui est frappant, c’est que l’on sent que les personnes interrogées savent, à un certain niveau, qu’elles racontent des inepties.
C’est pourquoi un certain nombre d’entre eux mettent fin à l’entretien prématurément, en invoquant la mauvaise foi présumée de Walsh.
Certains passages du film sont véritablement émouvants, comme les interviews d’athlètes féminines privées de trophées à cause de la participation de garçons dans les sports féminins.
La contribution de Scott Newgent, un homme transgenre profondément préoccupé par l’impact de la transition médicale sur les jeunes femmes, était incroyablement captivante. J’aurais pu regarder un film entier rien que sur Newgent, qui est manifestement animé à la fois par un traumatisme personnel et par la compassion pour les autres.
Alors pourquoi, dans l’ensemble, ce film m’a-t-il laissé un gout amer ?
Suis-je simplement une de ces féministes “laide et amère”, agacée qu’un homme vienne revendiquer un certain nombre d’observations féministes comme étant les siennes ?
Suis-je une puriste, refusant d’accepter le moindre soutien de la part de quelqu’un dont les opinions ne s’alignent pas précisément sur les miennes ?
Je ne pense pas que ce soit le cas.
Le problème pour moi est que Walsh ne reconnaît jamais le rôle que ses propres croyances rigides jouent dans la création et la perpétuation de la situation actuelle.
Il trouve d’innombrables personnes convaincues que la seule façon d’éviter d’imposer des normes sociales néfastes aux individus sur la base de leur sexe, est de prétendre que nous ne pouvons pas déterminer leur sexe ni lui reconnaitre la moindre existence sociale.
Pourtant, il ne fait rien pour suggérer que l’on ne devrait pas imposer ces normes, ou que ses propres fantasmes d’enfant en mode rose/bleu, pourraient justement amener ceux qui ne s’y conforment pas à penser qu’ils sont en quelque sorte “dans l’erreur”.
“Donnez à mon fils un pistolet à billes et c’est à peu près tout le soutien émotionnel dont il a besoin”, pense-t-il devant une scène de fête d’enfants, où tous les garçons portent des jeans bleus et toutes les filles sont des princesses roses. “J’ai entendu des gens dire qu’il n’y avait pas de différences entre les hommes et les femmes. Ces gens sont des idiots”.
Hmm. J’ai trois enfants, tous biologiquement de sexe masculin, qui ont tous joué avec des maisons de poupées et porté des robes. Deux d’entre eux ont de longs cheveux blonds à la Frozen et je n’ai jamais acheté de pistolet à l’un d’entre eux (et aucun n’en a jamais demandé).
Selon l’idéologie du genre de Walsh, je suis sur une pente glissante vers l’effacement de toute définition stable de “mâle” et de “femelle”.
En fait, il est le miroir inversé des absurdités promues par l’activisme trans.
Walsh et les personnes qu’il interroge confondent le négationnisme des différences sexuelles avec le rejet des stéréotypes sexistes de genre.
Lui, pense que nous devrions subir les stéréotypes ; Eux pensent que nous devrions en passer par le bistouri. Les féministes pensent que nous ne devrions souffrir ni de l’un ni de l’autre.
Il y a une scène particulièrement sinistre où Walsh assiste à une marche des femmes et se plait à harceler les manifestantes qui ne veulent pas donner une définition précise du mot “femme”.
Même si cette réticence me frustre, je sais d’où elle vient. La polarisation du débat actuel exige que les femmes choisissent entre nier la réalité de leur sexe ou accepter une vision conservatrice et anti-choix de ce que signifie être une femelle humaine adulte.
Matt Walsh partage cette vision polarisée.
Ces femmes sont prises en étau entre deux formes de misogynie, mais pour Walsh, tout cela n’est qu’un jeu pour se payer la tête des libéraux.
Cet homme n’est pas de notre côté, et il n’arrivera pas à gagner la faveur de femmes que paresseusement il présente à tort, comme ne sachant pas ce qui est bon pour elles.
À la fin du film, Matt rentre chez lui après son odyssée du Genre et retrouve Pénélope qui l’attend. Elle est, bien sûr, dans la cuisine et se débat avec un bocal de cornichons.
“Qu’est-ce qu’une femme ? lui demande-t-il.
“Une femme humaine adulte — qui a besoin d’aide pour ouvrir ceci”, répond-elle.
Vous avez compris, mesdames ? Il défendra notre droit d’exister en tant que classe sexuelle, tant que nous serons toutes d’accord pour admettre qu’elle est la plus faible des deux.
Au bout du compte, j’en ai juste profondément marre du machisme.
L’année dernière, j’ai parlé à l’une des fondatrices de Woman’s Place UK, qui m’a dit que les droits fondés sur le sexe seront en fin de compte mieux défendus par ceux qui sont là pour “la victoire, pas pour la gloire”.
Les personnes, principalement des femmes, souvent des lesbiennes et des femmes de couleur, qui effectuent le travail laborieux, en coulisses, de compiler les données et de contester, une à une les atteintes injustes que nous subissons. Les personnes qui ne cherchent pas à réimposer d’autres croyances tout aussi oppressives sur le sexe et le genre.
Il se peut que le film “Qu’est-ce qu’une femme ?” s’avère utile à montrer aux personnes encore rétives à cette idée que le problème est réel. Pour d’autres, cela peut avoir l‘effet inverse.
Quoi qu’il en soit, les femmes ne seront pas remerciées pour le travail acharné qu’elles ont fourni et les risques importants qu’elles ont pris dans cette lutte.
Après tout, en fin de compte, c’est cela d’être une femme.
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Pour lire l’article original: https://thecritic.co.uk/mansplaining-womanhood/